4000 Français franchissent tous les jours la porte d’une officine. Dès le 15 mars, les pharmaciens pourront vacciner contre la Covid-19. Le 10 mars, le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, a répondu aux questions des pharmaciens, lors d’une visioconférence, qui a rassemblé 22 000 pharmaciens connectés.
Question de la section des pharmaciens titulaires d’officine – Le plan Ma santé 2022 partait d’une intuition : simplifier les parcours de soins en permettant à chaque profession de prendre en charge les patients dans leur périmètre de compétence. Concernant les pharmaciens, cette évolution des missions est aujourd’hui conditionnée pour beaucoup, à la mise en place d’un exercice coordonné complexe, chronophage et sans plus-value directe pour le patient. Pensez-vous pouvoir lever les freins qui complexifient aujourd’hui le développement des missions des pharmaciens ?
Je suis pour lever tout ce qui est inutilement complexe dans notre système de soins. Nous avons un système magnifique et complexe, fondé parfois sur des corporatismes, parfois sur des blocages, parfois sur des peurs. Dès que je localise la voie d’un changement pour améliorer la congruence de notre système et permettre à chacun de trouver sa juste place dans le système de santé, je me fais fort d’y aller assez vite. Pour exemple : la télé-santé. Nous ne pouvions pas imaginer, que nous passerions de 10 000 actes il y a un an à 1 million d’actes aujourd’hui par semaine, ni qu’on pourrait consulter son médecin par Skype ou Facetime ou qu’on permettrait à des kinés de faire de la rééducation par téléconsultation. S’il avait fallu un débat parlementaire, cela aurait pris beaucoup de temps. Or, je constate que nous avons pu le faire. À la faveur de la crise, un certain nombre de blocages se sont levés. Je suis convaincu que la place du pharmacien est amenée encore à se renforcer, dans un cadre coordonné, parce que c’est souhaité par la plupart des professionnels. Mais au-delà, je dirais que vous êtes des professionnels de santé avec de grandes compétences. C’est pour cette raison que je n’ai pas hésité à lever le blocage sur les gels hydroalcooliques en 24 h, sur la réalisation des Trod (tests rapides d’orientation diagnostique) et sur la vaccination… J’attends l’autorisation de la HAS, qui est un peu saturée avec la Covid, sur l’ensemble de la vaccination qui pourra être réalisée par les pharmaciens. Je suis convaincu de tout cela. Développons vos missions, développons l’exercice coordonné. Je continuerai à travailler avec la présidente de l’Ordre et les instances syndicales pour lever tous les freins.
Question de lasection des pharmaciens de l’industrie – La France peut-elle défendre son modèle de pharmacien responsable et la responsabilité de l’exploitant auprès de l’Europe pour maintenir la robustesse de sa chaîne pharmaceutique ?
La question fait sans doute référence au fait que l’Union européenne investit peut-être beaucoup, voire un peu trop parfois les sujets santé. L’Europe c’est nous. Je travaille en permanence avec les ministres européens, dans le cadre du Conseil européen des ministres de la Santé, je travaille à l’international en G7 et en G20. Nous nous parlons énormément avec mes homologues européens. Toute décision à laquelle nous n’adhérons pas ne passe pas. L’exemple de l’approvisionnement européen des vaccins montre qu’en Europe, quoiqu’on en dise, nous vaccinons beaucoup. Le décret stock est un autre exemple de ce que nous faisons pour sécuriser les approvisionnements. La chaîne pharmaceutique française est une chaîne que je qualifierais de robuste de bout en bout. Je veux donc continuer à m’appuyer sur elle et au-delà, défendre ce modèle à l’échelle européenne. J’aurai l’immense honneur de présider, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, toute l’organisation européenne en matière de santé, pendant 6 mois, à compter du début de l’année 2022. Nous travaillons d’ores et déjà à passer les bons messages.
À terme les pharmaciens pourront-ils vacciner leurs patients avec tous les vaccins contre la Covid-19 ?
À terme cela pourrait-être l’objectif. Vous allez pouvoir vacciner avec AstraZeneca. Je suis très heureux que les pharmaciens puissent vacciner, parce qu’on a besoin de vous. Pendant la grippe vous faites plus de 350 000 vaccins par jour et nous sommes à un moment de la campagne vaccinale où il faut monter en puissance. J’ai la conviction que si on vous livre 300 000 vaccins, ils ne resteront pas plus de 24 heures et qu’ils seront immédiatement injectés. D’autres vaccins seront disponibles. Concernant le vaccin Pfizer, c’est compliqué à cause des conditions de conservation. Peut-être le Moderna, le CureVac, le Janssen. Les livraisons Pfizer en avril vont augmenter très fortement. En avril, 1,9 million de doses Pfizer seront livrées par semaine. Les centres monteront donc en puissance. Pour tous les autres vaccins nous aurons besoin des pharmaciens, des médecins, des infirmiers en ville, des kinés, des dentistes, des sages-femmes… Nous aurons besoin de tout le monde pour vacciner très massivement, très rapidement.
A-t-on légalement le droit d’injecter de l’adrénaline à la suite d’une réaction allergique post-vaccinale, au sein de l’officine ?
Oui. Tout le monde peut utiliser un stylo auto-injecteur d’adrénaline sans encourir le risque de se voir accuser d’exercice illégal de la médecine. Une décision du Conseil d’État, de janvier 2001, le confirme et le Conseil national de l’Ordre des médecins, dans un avis de l’année 2000, a reconnu que l’injection d’adrénaline peut être effectuée par un proche ou un aidant scolaire. Quand il s’agit de sauver la vie des gens, il n’y a pas de question à se poser. Par ailleurs, je vais plus loin : il sera obligatoire pour réaliser les vaccins dans vos officines de disposer d’un stylo injecteur d’adrénaline. Je vous rassure, il y a très peu d’effets indésirables. Pour l’instant, sur les 40 centres de vaccination que j’ai visités, je n’en ai pas vu un où il y ait eu besoin de faire d’injection d’adrénaline. Mais bien sûr cela peut arriver et donc il faut vous y préparer.
Quelle sera la clé de répartition des vaccins Covid par pharmacie. Sera-t-elle fondée sur le nombre de vaccins grippe réalisés par chaque officine ou sur le chiffre d’affaires ?
Le facteur limitant aujourd’hui, c’est le nombre de doses que nous recevons. La semaine prochaine, nous recevrons 280 000 doses. La semaine d’après il était prévu d’en recevoir 700 000 finalement nous n’en aurons que 140 000, parce qu’Astra Zeneca nous joue des tours. La semaine suivante nous devions en recevoir 1 300 000 et nous en recevrons beaucoup moins. En revanche, à partir d’avril, les quantités devraient être rattrapées et les livraisons devraient être abondantes. Pour l’instant on gère la pénurie. En avril, il faudra donc vacciner très vite. Nous avons choisi un flux poussé, c’est-à-dire que nous vous invitons à vous inscrire pour commander des vaccins. Vous recevrez deux flacons par pharmacien. C’est un engagement que j’ai pris, donc vous les aurez. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est un amorçage. Vous êtes plus de 15 000 à vous être déjà inscrits sur 18 000 candidats potentiels, en l’espace de deux jours.
Le pharmacien est un acteur majeur du système de santé, pivot central entre les praticiens, les soignants et les patients, en ville comme en établissement de santé. Quelle place souhaitez-vous donner à l’avenir aux pharmaciens ? Travail collaboratif avec les médecins, les soignants ; intégration au parcours des patients. Quelle projection dans les missions confiées aux équipes pharmaceutiques pour la décennie à venir et au-delà ?
Votre rôle est de santé publique : prévention primaire, secondaire et tertiaire ; suivi des traitements complexes ; renouvellement des ordonnances. Concernant la dispensation, le cadre va continuer d’évoluer. Je pense que les pharmaciens peuvent remplir plus de missions, assumer plus de fonctions et jouir de plus d’autonomie. Je crois que le meilleur moyen de convaincre l’ensemble des acteurs du système de soins, c’est de renforcer le travail coordonné, le travail en équipe. Quand on regarde 5 ou 10 ans en arrière, on voit que votre métier a beaucoup évolué. À la faveur de la crise, il a explosé dans le bon sens du terme, on ne va pas s’arrêter là.
Les pharmaciens retraités peuvent-ils aider leurs confrères pendant la période des vaccinations ?
Oui, bien sûr. Nous avons besoin de bras, de bonnes volontés. Je vois partout des retraités qui disent « moi, je viens aider ». Il y a un statut qui est conféré, il y a la contractualisation qui est possible avec le centre, avec l’hôpital avec la CPM. Et dès qu’il y a des freins, je les lève. Nous trouvons tous les jours des petits freins qui nous avaient échappé.
Pourriez-vous autoriser les étudiants en sixième année, en stage officinal à participer à la vaccination ?
Oui. Le vaccin est une injection intramusculaire. Si la personne est compétente pour faire une injection intramusculaire, la réponse est oui.
Dans une maison de santé, notamment rurale, pharmacien, médecin et infirmière peuvent-ils organiser une journée de vaccination ?
Oui. Aucun problème. Je souhaite que l’organisation soit la plus libre possible. Ce qui m’importe, c’est qu’elle soit dynamique. C’est-à-dire que ça aille vite et dans de bonnes conditions de sécurité. À partir de là, il n’y a pas de cadre figé.
Où en sont les données sur la diminution de la transmission du virus pour les différents vaccins ? Cela peut aider à convaincre les collègues de se faire vacciner et aussi à convaincre le reste de la population quand le moment sera venu.
Un vaccin diminue la transmission. C’est la règle. Dans les pays qui ont beaucoup vacciné avec des cohortes importantes de centaines de milliers de personnes, on observe une chute des formes asymptomatiques de Covid. Donc ça laisse penser que ce serait bloquant pour la transmission du virus. Je parle au conditionnel parce qu’il n’y pas encore de feu vert de l’OMS ni du CDC. Nous aurons les informations bientôt. Si vous avez besoin de convaincre vos collègues ou vos patients de se faire vacciner, expliquez-leur ce qu’est la Covid. La Covid fait des dégâts considérables. Certaines formes laissent des séquelles ; avec 30 % des personnes qui ont des séquelles à plus d’un mois. Ce n’est pas une maladie anodine. Ce n’est pas un virus qui passe. Ce n’est pas la grippe.
Les gens ont parfois oublié que les vaccins pouvaient occasionner des effets indésirables. Ce n’est pas la règle. La majorité des gens n’ont aucun effet indésirable. Et quand effet indésirable il y a, il est souvent bénin et se traite par du paracétamol. La Covid est parfois bénigne, mais elle peut-être sévère. Aujourd’hui, le rajeunissement des patients en réanimation en France est un facteur qui m’inquiète aussi. Donc vaccinez et convainquez autour de vous. Les soignants sont les porte-drapeaux de la vaccination et les pharmaciens qui connaissent parfaitement le fonctionnement pharmacocinétique et pharmacodynamique savent très bien expliquer ça.
Que répondre à une personne ne souhaitant pas se faire vacciner pour des raisons complotistes ?
Nous ne convaincrons pas tout le monde. Il faut lever les craintes. En médecine, on dit qu’il y a la peur et la phobie. La phobie n’a pas de substrat, c’est une peur irraisonnée mais elle peut être très forte. Il y a des gens qui ont peur de se faire vacciner. Ces gens-là, on peut leur expliquer, les rassurer. Il y des gens qui considèrent qu’on leur veut du mal. C’est beaucoup plus difficile de les convaincre. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas essayer. Mais certains ne seront jamais convaincus, ça procède d’un mouvement général de défiance vis-à-vis de l’autorité politique, sanitaire, scientifique, médiatique… c’est un travail de conviction à mener, pour nous les politiques.
Qu’est-il prévu pour les patients qui ne peuvent pas se déplacer en centre de vaccination, en cabinet ou en pharmacie et qui se voient refuser la vaccination à domicile par leur médecin ?
Pourquoi est-ce qu’on leur refuserait la vaccination à domicile ? Il n’y a aucune raison. Quel que soit le vaccin, il peut être fait à domicile. Les infirmières peuvent désormais vacciner. J’ai ressaisi la HAS, qui ne souhaite pas que les infirmières prescrivent l’Astra Zeneca, or je considère que l’infirmière devrait pouvoir le prescrire. C’est la HAS qui le dira. Si la HAS dit non, je suivrai son avis. Il est fondamental de vacciner au domicile parce que ceux qui sont concernés sont souvent des gens à la fois âgés donc fragiles, précaires donc fragiles et sans médecin traitant donc fragiles.
L’oxygène est un médicament indispensable de la prise en charge de la Covid-19, serait-il possible d’avoir plus de liberté d’équiper au domicile des patients qui en ont besoin, alors qu’actuellement peu de patients y sont éligibles, avec redirection systématique vers les hôpitaux alors qu’ils sont saturés ?
Ce n’est pas tout à fait vrai. Nous avons développé très fortement l’oxygénothérapie à domicile, les prises en charge ambulatoires et jusqu’à l’hospitalisation à domicile pour les cas sévères. Il y a beaucoup de patients en oxygénothérapie à domicile. Ce qui permet d’ailleurs de réduire et retarder le recours à l’hôpital et d’anticiper les sorties de l’hôpital. S’il y a des blocages, j’en suis désolé, mais des mots d’ordre ont été passés et des recommandations très claires de la HAS vont dans le sens du développement de l’oxygénothérapie à domicile.
À quand l’ouverture du dossier médical et l’Espace numérique en Santé ? Et y aurons-nous accès en tant que pharmaciens d’officines ?
1er janvier 2022. Oui vous y aurez accès.
Peut-on vacciner une personne ne rentrant pas dans les critères, s’il nous reste des doses en fin de journée ?
Oui. Si vous pouvez faire une dose supplémentaire parce que la seringue et le geste le permettent, vaccinez. On ne jette jamais de dose de vaccin. Il n’y a pas de recommandation des ARS pour faire ces vaccins, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas les faire.
Quand pourrons-nous, étudiants, être vaccinés pour protéger nos familles et quand pourrons-nous retrouver les bancs de l’université ?
Les étudiants en santé sont vaccinables parce qu’ils sont en contact avec des patients. Concernant les bancs de l’université, c’est autre chose. C’est très dur pour les étudiants que les universités soient fermées. Frédérique Vidal travaille à un retour en présentiel. Nous le ferons dès que possible. Aujourd’hui, il y a eu 30 000 cas de Covid et 70 lits de réanimation occupés de plus (en bilan entrées-sorties). Nous atteignons des paliers d’occupation des réanimations qui correspondent au pic de la deuxième vague. Ce n’est donc pas aujourd’hui que se pose la question de la réouverture des lieux à risque de contamination. Mais viendra le printemps et nous pourrons retrouver une vie plus normale et les universités seront évidemment priorisées.
On ne parle que des vaccins. Mais qu’en est-il des traitements ? Y a-t-il des avancées et des espoirs ?
Oui. Il y a des traitements dont on sait qu’ils ne marchent pas, mais il y a des traitements porteurs d’espoirs. J’en vois deux catégories : les interférons et les anticorps monoclonaux. Nous avons des études intéressantes. Des biologistes du côté de Nice portent un test qui permet de déterminer si un patient est à risque d’avoir des carences en interféron et donc qui pourrait bénéficier d’un traitement par interféron. Il y a une étude de cohorte en France qui propose un traitement interféron en phase précoce chez des personnes à risque de faire des formes graves. Je n’ai pas encore les données intermédiaires.
De l’autre côté, les anticorps monoclonaux. Il y en a plusieurs et la France en a acheté.
– La monothérapie, utilisée de manière assez restreinte dans les hôpitaux. Quelques dizaines de patients français en ont bénéficié, ce sont des gens âgés de plus de 80 ans avec immunodépression et en secteur hospitalier strict.
– La bithérapie, que nous recevrons en fin de semaine ou en début de semaine prochaine, est plus prometteuse car elle est active sur les variants. Elle nous permettra de développer une prise en charge ambulatoire très rapide pour éviter l’apparition de formes graves.
Les anticorps monoclonaux, dans certaines études américaines, ont montré une réduction jusqu’à 70 % de l’aggravation des patients. D’autres anticorps monoclonaux que nous avons commandés arriveront : les fameux Regeneron de Roche, et d’autres, notamment ceux d’Astra Zeneca, prévus en avril. Nous espérons beaucoup de ça. Sinon il y a la dexaméthasone qui existe toujours et qui marche bien, les anticoagulants, l’oxygénothérapie et parfois l’azithromycine pour prévenir les pneumopathies chez les gens qui toussent avec une forte fièvre. Il y a des recommandations HAS pour cela.
Le dossier pharmaceutique pourrait-il se substituer au passeport vaccinal ?
Je suis très prudent avec la notion de passeport vaccinal. Dans un pays à forte propension égalitariste comme la France, je ne suis pas du tout convaincu qu’un jour on dise à quelqu’un qu’il peut entrer au cinéma parce qu’il est vacciné, tandis qu’on dirait à l’autre qu’il ne peut pas parce qu’il n’est pas vacciné. Nous sommes plutôt dans une logique de réouverture collective à mesure que la population est protégée et que le virus circule moins. Ensuite, il y a la question des déplacements au sein de l’Union européenne et hors Union européenne, qui appellent un certificat international de vaccination, avec des applications déterminées au niveau européen parce qu’il y a nécessité d’interopérabilité avec des systèmes de QR codes complexes. Donc, pour cette raison, je ne pense pas qu’on puisse passer par le DP.
Si notre médecin n’a pas récupéré ses flacons de vaccins pouvons-nous commencer la vaccination plus rapidement en officine ?
Pour l’instant non. Les médecins libéraux sont très mobilisés. Si les vaccins n’ont pas trouvé de destinataires dans quelques jours, on se posera la question.
Y a-t-il des mesures qui ont été prises pour le traitement des nombreuses déclarations d’effets indésirables des vaccins arrivant aux centres régionaux de pharmacovigilance ?
Nous avons un très gros système de pharmacovigilance, qui repose sur le système habituel, renforcé par des enquêtes de terrain menées par les CNR et Santé publique France. Les déclarations sont compilées au fur et à mesure et rendues publiques. Les effets indésirables sont pour la plupart mineurs, classiques (fièvre, céphalée, fatigue, douleurs articulaires…) et régressent en quelques heures.